Crouzatier-Durand, Florence (2014) Pouvoir ou contre pouvoir ? Mythes et réalités du territoire. In: Mélanges en l'honneur du professeur Henry Roussillon Presses de l'Université Toulouse 1 Capitole. Toulouse ISBN 978-2-36170-094-2

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Abstract

Les structures territoriales des communes. Réformes et perspectives d’avenir. L’intitulé de cette thèse publiée en 1972 est d’une incontestable actualité et suscite toujours de véritables questionnements. C’est avec beaucoup de plaisir, d’honneur et non sans une certaine émotion que je reprends par cette réflexion les thèmes de recherche de celui qui a été mon Professeur, mon Doyen, mon Président et sans lequel il ne me serait pas donné d’écrire ces lignes. Cher Henry, vous m’avez donné le goût du droit et précisément du droit public, vous m’avez incitée à réfléchir sur la notion de territoire par le truchement de l’expérimentation locale, que ces quelques lignes soient un témoignage de reconnaissance sincère.

Le mot territoire, issu du latin territorium et terra, est un terme polysémique qui renvoie à des significations différentes selon l’époque et les disciplines qui l'étudient. Dans le cadre de cette étude, le territoire peut être défini comme l’espace occupé par un groupe humain et soumis à une autorité. La notion de territoire comprend alors l'espace géographique mais également une réalité politique, économique, sociale et culturelle. Lorsque le territoire est appréhendé dans une acception politique et administrative, il suppose l'existence de limites, dites frontières. Juridiquement, le territoire constitue une condition d’existence de l’Etat, il est plus précisément un élément constitutif de l’Etat dont il forme l’assise géographique et dont il détermine le champ d’exercice des compétences . Si la notion juridique de territoire ne suscite pas de controverse particulière, il apparaît en revanche que sa fonction est davantage contestée ; en effet, la querelle entre Jacobins et Girondins perdure depuis la Révolution. 1789 marque la naissance de la démocratie locale, mais il est indéniable que l’idéal républicain des révolutionnaires est centralisateur. Les Jacobins, défenseurs d’un État centralisé, s’opposent aux Girondins, davantage partisans de l’autonomie locale. Deux visions de l’Etat qui ont longtemps semblé opposées, à l’image de Duguit qui considérait que la décentralisation est tout à fait inconciliable avec l’indivisibilité et la souveraineté d’un Etat unitaire . Les deux théories étaient alors considérées comme incompatibles. Les lois Defferre de 1982 sont parvenues à établir un compromis visant à concilier la République indivisible et l’Etat décentralisé. C’est également la conciliation de deux fonctions du territoire qui est envisagée pour la première fois, lieu d’assise du pouvoir, lieu aussi d’une éventuelle contestation. Une double et paradoxale fonction du territoire comme lieu d’exercice des rapports de pouvoir qui a été mise en lumière par Foucault, dans une perspective philosophique et géographique d’abord, avant qu’elle ne soit ensuite appréhendée dans une perspective juridique . Il note à propos des territoires, quels qu’ils soient, « féconds ou stériles, ils peuvent avoir une population dense ou au contraire clairsemée, les gens peuvent être riches ou pauvres, actifs ou paresseux, mais tous ces éléments ne sont que des variables par rapport au territoire qui est le fondement même de la principauté ou de la souveraineté » .

Quelle fonction du territoire, quelles fonctions du territoire ? Pouvoir ou contre-pouvoir ? Autant de questions liées à celle du pouvoir dans l’Etat, de la souveraineté, de ce que Foucault qualifie de principauté dans le sens utilisé par Machiavel.
Pourtant, le lien établi entre territoire et souveraineté paraît démenti au regard de la construction européenne. Quid du territoire européen ? L’Europe est l’exemple même d’une construction politique fondée sans territoire comme en attestent les conditions posées pour obtenir le statut de candidat, au nombre de trois : être un Etat, européen (critère géographique pour le moins indéterminé), qui respecte et promeut les valeurs de l'Union. Depuis le Conseil européen de Copenhague de 1993, quatre critères sont pris en compte dans l'adhésion. Un critère politique lié à la stabilité des institutions garantissant la démocratie, l'Etat de droit, le respect des minorités et leur protection ; un critère économique exigeant une économie de marché viable et capable de faire face aux forces du marché et à la pression concurrentielle à l'intérieur de l'Union ; un acquis communautaire consistant dans l’aptitude à assumer les obligations découlant de l'adhésion, notamment souscrire aux objectifs de l'Union politique, économique et monétaire ; enfin, la capacité d'intégration qui implique que l'adhésion du pays soit compatible avec le fonctionnement efficace des institutions et les procédures décisionnelles de l'Union. L’identification d’un Etat européen se fait sans référence au territoire, sans pour autant que ne soit ignoré le lien entre gouvernant et gouverné, sans pour autant que la souveraineté ne soit occultée.
Néanmoins, tel qu’il s’exerce dans l’Etat, le pouvoir est un pouvoir de prévision, de décision et de coordination qui appartient aux gouvernants et qui permet de conduire la politique nationale. C’est un phénomène d’autorité qui connaît le plus souvent une limite dans l’existence de contre-pouvoirs. Ces derniers peuvent être définis comme des centres de décision, de contrôle ou d’influence qui ont pour objectif de limiter la puissance des gouvernants. Ils permettent l’exercice des droits et libertés des gouvernés, ils sont la condition de l’existence d’un Etat de droit. Parce qu’il est à la fois le lieu d’exercice de la souveraineté et celui des limitations inhérentes à tout Etat de droit, le territoire présente cette fonction paradoxale. En effet, il est un instrument de légitimation du pouvoir, permettant son exercice, garantissant un espace d’affirmation de la souveraineté. C’est le territoire national reconnu comme tel et délimité par ses frontières. Il traduit la manifestation d’un réel pouvoir politique, tant au sein même de l’Etat qu’au-delà dans les relations internationales. Et il est aussi un contre-pouvoir, lieu d’exercice de la décentralisation, de la reconnaissance d’autres centres de décision au niveau local ; c’est la démocratie locale, berceau des pouvoirs locaux, d’éventuelles revendications des populations locales. Les collectivités territoriales françaises sont la parfaite illustration de cette situation, traduite par la formule d’Eisenmann qui évoquait la « semi-décentralisation » .

Item Type: Book Section
Date: 2014
Place of Publication: Toulouse
Subjects: A- DROIT > A3- Droit public
Divisions: Institut Maurice Hauriou (Toulouse)
Site: UT1
Date Deposited: 16 Feb 2016 08:27
Last Modified: 02 Apr 2021 15:51
URI: https://publications.ut-capitole.fr/id/eprint/19471
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