Azéma, Ludovic (2024) "Avant-propos", La sûreté: un principe ambivalent. Ses rapports à l'individu et à l'Etat; Approche historique et comparée,. Revue Dikè (n°4). pp. 7-9.

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Abstract

Depuis 2014, le Centre Toulousain d’Histoire du droit et des Idées politiques (CTHDIP) porte le programme Dikè avec pour objectif une réflexion transversale sur les cultures juridiques en Europe. Dans ce cadre de travail, l’interdisciplinarité et le comparatisme permettent une approche globale par la complémentarité des points de vue et des méthodes autour d’un thème choisi pour les perspectives qu’il laisse entrevoir. C’est ainsi que lors de l’année 2023, deux journées d’étude, du 30 janvier et 15 juin, ont pu être consacrées sur le thème de la sûreté comme principe ambivalent. Sans prétendre bien sûr épuiser le sujet, il s’agissait de mettre en perspective dans le temps et dans l’espace un concept difficile à appréhender ou à circonscrire parce qu’évolutif, notamment pour des raisons intrinsèques. Il n’y a qu’à voir les utilisations du terme depuis la sûreté d’une ville comme Paris employée dans les mémoires policiers du XVIIIe siècle, la sûreté de l’individu, celle du citoyen, celle de l’Etat jusqu’aux nombreuses déclinaisons contemporaines qui rapprochent finalement la « sûreté » de la « sécurité » sans qu’apparaisse très clairement la distinction entre l’une et l’autre . Est-ce bien satisfaisant ?
C’est toute la dialectique posée aux systèmes répressifs modernes entre exigences de l’ordre public et protection des droits individuels, pour citer Bernard Schnapper , qui nous interroge. C’est un équilibre, une balance complexe, qui fait que ces notions (sûreté individuelle et sûreté de l’Etat) sont soit complémentaires, soit contradictoires . Cette tension apparaît très vite : la sûreté de la 1789 est souvent présentée comme une sûreté individuelle (on sait que la Déclaration de 1789 est aussi et surtout une attaque contre l’Ancien Régime). Bien sûr, la Déclaration est celle des droits de l’Homme comme individu, mais elle est aussi une déclaration des droits de la nation et du citoyen, ce qui autoriserait après tout d’autres interprétations quant à cette sûreté. Aussi, lorsque la pensée de Lumières évoquait la sûreté , elle pouvait déjà et également la concevoir comme une sûreté de l’Etat, notamment dans les débats relatifs à la peine de mort où elle apparaît bien souvent comme une exception à une abolition absolue, y compris chez Beccaria. Cette tension est ancienne et a traversé les XIXe et XXe siècles. Le Code pénal de 1810 consacre un chapitre aux « Crimes et délits contre la sûreté de l’Etat », sûretés intérieure et extérieure de l’Etat. Que dire des lois de sûreté générale au XIXe siècle ? Celle du 31 octobre 1815 prévoit ainsi dans son article 1 : « Tout individu, quelle que soit sa profession, civile, militaire ou autre, qui aura été arrêté comme prévenu de crimes ou de délits contre la personne et l’autorité du Roi, contre les personnes de la famille royale, ou contre la sûreté de l’Etat, pourra être détenu jusqu’à l’expiration de la présente loi, si, avant cette époque, il n’a été traduit devant les tribunaux ». L’article 2 précise que « les mandats à décerner contre les individus prévenus d’un des crimes mentionnés à l’article précédent, ne pourront l’être que par les fonctionnaires à qui les lois confèrent ce pouvoir […] ». Suspension de la liberté individuelle, dans un climat de crise politique, par l’autorisation des emprisonnements administratifs, indépendants de la procédure judiciaire. Encore en juin 1853, la sûreté générale, héritière du Ministère de la Police, apparaît sous l’appellation de « Direction de la Sûreté publique » qui deviendra en 1871 la « Direction de la sûreté générale ».
Voici un rapport adressé à ce sujet par le Directeur de la sûreté générale au Ministère de l’Intérieur :
« Le service de la sûreté répond à deux besoins de tout gouvernement, d’où pour ses agents une double fonction. D’une part, ils veillent à l’exécution des lois et d’un certain ordre du gouvernement, de l’autre ils recueillent et portent à la connaissance des hauts fonctionnaires chargés d’exercer l’autorité les renseignements qui doivent servir de base à la politique intérieure du gouvernement » .

En revanche, nous pouvons lire l’article 3 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 : « Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne ». Le droit à la sûreté est à nouveau le droit à la protection de la liberté individuelle, inspiré de l’habeas corpus, malgré un glissement sémantique menait à une confusion entre droit à la sûreté et droit à la sécurité.
Finalement, nous constatons que nous sommes pris par un mouvement permanent au gré des intérêts en présence, sur un terrain mouvant, ce que n’aiment pas les juristes. Cependant, ce mouvement ne dépend pas d’une époque mais de l’objet protégé. Il n’est pas historique mais inhérent à la notion même de sûreté . C’est sûrement la raison pour laquelle le Conseil constitutionnel évite le terme de « sûreté » . Ces journées d’étude, dont la revue numérique Dikè fait état, permettront peut-être une réflexion plus ample sur un sujet bien loin d’être épuisé ?

Item Type: Article
Language: French
Date: 2024
Refereed: Yes
Place of Publication: Toulouse
Subjects: A- DROIT > A2- Histoire du droit > A2-2- Histoire du droit et des institutions
Divisions: Centre toulousain d'histoire du droit et des idées politiques (Toulouse)
Site: UT1
Date Deposited: 18 Nov 2024 13:18
Last Modified: 18 Nov 2024 15:35
URI: https://publications.ut-capitole.fr/id/eprint/49862
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