Fohrer-Dedeurwaerder, Estelle (2009) Note sous Cass, 1e civ, 11 juin 2008 (divorce international et litispendance) : Comm.10. Journal du droit international (n°2). [Caselaw headnote]

Full text not available from this repository.

Abstract

Les faits de l’espèce sont simples : des époux de nationalité française, qui s’étaient installés avec leur enfant commun en Angleterre, ont connu des difficultés qui les ont conduit à former chacun de leur côté une demande en divorce auprès d’un juge… le même jour. Tandis que l’épouse saisissait le juge anglais – compétent, selon le Règlement européen du 27 novembre 2003, dit Bruxelles II bis, en tant que juge du lieu de la dernière résidence habituelle des époux, l’épouse y résidant encore –, le mari déposait une requête devant le juge français – compétent en tant que juge de la nationalité commune des époux –. La question se posait de la juridiction qui devait se prononcer sur la demande en divorce.
En principe, quand deux juridictions sont concurremment saisies, celle qui demeure compétente est celle premièrement saisie. Il s’agit là de la règle de la litispendance, consacrée tant en droit interne que dans l’ordre européen par le Règlement de 2003. Cependant, tout le problème était ici de déterminer laquelle des deux juridictions, française ou anglaise, avait été saisie la première. Si l’on pouvait bien admettre que les saisines avaient eu lieu le même jour (en droit positif français, la saisine résulte du dépôt de la requête initiale en vue de la conciliation, tandis qu’en droit anglais cette date est déterminée par la signification de l’assignation du défendeur), il restait à savoir à quelle heure. Or le juge français n’avait pas pris les précautions de son homologue anglais, lequel avait précisé l’heure exacte de sa saisine.
C’est ainsi que devant le juge français, l’épouse soulevait l’exception de litispendance, à l’appui de laquelle elle rapportait la preuve de l’heure de saisine du juge anglais. Elle prétendait en conséquence qu’il appartenait désormais à son mari de prouver l’antériorité de la saisine du juge français pour faire échec à son exception.
La Cour de cassation a consacré cette thèse. En effet, contrairement au pourvoi du mari qui proposait une analyse globale et unitaire de l’exception de litispendance en soutenant que toutes les conditions de la litispendance – y compris l’ordre des saisines – devaient être prouvées par celui qui l’invoque, la Cour a opté pour une décomposition de l’objet de la preuve. Dès lors, elle a estimé que la preuve par l’épouse de l’heure à laquelle le juge anglais avait été saisi constituait une présomption simple de l’antériorité de la saisine, à charge de son adversaire de la combattre en rapportant la preuve contraire. De la sorte, la Cour a donc implicitement posé une présomption d’antériorité au profit de celui qui prouve l’heure à laquelle il a saisi un juge. Mais, bien qu’elle paraisse rattacher son raisonnement à la théorie de la preuve indirecte d’un fait négatif – à savoir le fait que la juridiction française n’a pas été saisie antérieurement –, il est impossible de ne pas remarquer ici l’absence de lien logique, pourtant nécessaire, entre le fait que le juge anglais a été saisi à 12h30 – objet de preuve dont se contente la Cour de cassation – et le fait que le juge français a été saisi en second – objet réel qui aurait dû être rapporté pour que l’exception de litispendance aboutisse –. Contrairement à ce qu’elle affirme, la présomption posée ne se limite pas à déplacer l’objet de la preuve comme c’est le cas lorsque l’on cherche à prouver indirectement un fait négatif, mais à en renverser la charge.
La solution est particulièrement fâcheuse, tant sur le plan juridique dans la mesure où le législateur dispose d’une compétence exclusive pour décider une interversion de la charge de la preuve, que sur le plan de l’opportunité puisque l’époux se trouvait dès lors confronté à une preuve impossible en raison de l’absence d’horodatage des actes de procédure en France.
Face à ces désagréments, il aurait été préférable que la Cour de cassation choisisse, exceptionnellement, de déroger au critère chronologique de la règle de la litispendance et applique celui du juge le mieux placé pour connaître du contentieux, critère cher à la théorie anglo-saxonne du forum non conveniens. Sa flexibilité aurait ainsi permis de corriger la rigidité des règles de la litispendance et d’éviter l’adoption d’une solution contra legem, pour aboutir à un même résultat en l’espèce : la dessaisine du juge français au profit du juge anglais déjà compétent pour se prononcer sur les mesures relatives à l’enfant, en application du Règlement de 2003.

Item Type: Caselaw headnote
Sub-title: Comm.10
Language: French
Date: April 2009
Refereed: Yes
Keywords (French): litispendance, prior tempore, forum non conveniens, horodatage des actes, Règlement Bruxelles II bis, divorce, renversement de la charge de la preuve, preuve d'un fait négatif
Subjects: A- DROIT > A6- Droit international > 6-1- Droit international privé
Divisions: Institut de recherche en droit européen, international et comparé (Toulouse)
Site: UT1
Date Deposited: 12 May 2016 14:00
Last Modified: 02 Apr 2021 15:53
URI: https://publications.ut-capitole.fr/id/eprint/21669
View Item