Affaire Tapie : À propos d'un plan de sauvegarde bien peu « sérieux » !

Les sociétés débitrices ne disposant pas de liquidités disponibles significatives, ni d'un prévisionnel pertinent attestant de rentrées de fonds compatibles avec le délai de mise en œuvre du plan et suffisantes pour en assurer l'exécution sur la durée, leur projet de plan souffre d'un défaut de financement. Il s’ensuit que la probabilité d'exécution du plan n'apparaît pas sérieuse, ce d’autant que les garanties proposées ne rendent en rien plus certaine sa mise en œuvre dans les délais impartis.

Cass. com., 9 juill. 2019, no 18-17129, F–D

Vive émotion que celle suscitée par cette retentissante affaire médiatique aux enjeux financiers considérables puisque, tour à tour, une « instrumentalisation », un « détournement », voire « un dévoiement de la procédure de sauvegarde » ont été évoqués devant la bienveillance, sinon les dysfonctionnements du tribunal de commerce de Paris ayant d’abord accepté d’ouvrir cette procédure, avant d’arrêter ensuite un plan commun aux deux sociétés financières GBT et FIBT, toutes deux détenues par l’ex-homme d’affaires Bernard Tapie.

C’est ainsi qu’après avoir passablement terni l’image de l’arbitrage, l’affaire Tapie jette divers soupçons sur le paravent de la justice qu’offre toute procédure de sauvegarde. À l’émoi suscité par l’éligibilité d’une société purement patrimoniale à cette procédure1, suivit celui provoqué par l’action en extension opportunément sollicitée par un dirigeant pressant2. Voici enfin venu le temps de douter de l’issue de cette procédure face au manque de crédibilité du plan présenté.

Tirant profit de l’effet mécanique du gel du passif et de l’arrêt des poursuites qu’emporte le jugement d’ouverture de toute procédure collective, Bernard Tapie avait en effet pu engager une réflexion constructive et présenter un plan de sauvegarde susceptible de lui permettre de rembourser notamment les 404 millions d’euros, fruits de l’arbitrage devant être restitués. Il était d’ailleurs parvenu à emporter la conviction du tribunal de commerce de Paris par jugement du 6 juin 2017. Cependant, face aux soupçons pesant sur les circonstances de l’approbation de ce premier plan et fort de l’opposition du parquet défendant les deniers publics, ce plan serait finalement invalidé par la cour d’appel de Paris le 12 avril 2018 après que son caractère irréaliste ait été dénoncé.

Il est vrai qu’à l’occasion de l’adoption d’un plan, l’intégration de standards à la législation des procédures collectives assure aux juges consulaires l’exercice d’une « magistrature économique »3, ce qui conduit parfois à ce que des considérations d’opportunité prennent le pas sur la légalité. Mais l’originalité de l’instance statuant sur le sort de l’entreprise, comme le flou qui entoure le précepte légal de la « sauvegarde de l’entreprise », ici décliné dans l’exigence d’« une possibilité sérieuse pour l’entreprise d’être sauvegardée »4 et au sein de laquelle se fond l’apurement du passif, n’emporte pas pour autant de vide juridique. Comme l’assènent les deux sociétés débitrices au moyen de leur pourvoi, aucune « certitude de réalisation du plan » n’est requise. Cela est acquis. Toutefois, l’absence de définition légale du critère ne se satisfait pas d’une appréciation négative, en creux d’un redressement « manifestement impossible »5 ou d’un débiteur placé « dans l’impossibilité d’en assurer lui-même le redressement »6, voire d’offres « manifestement insusceptibles de permettre le redressement de l’entreprise »7. En ce sens, le fait que la situation ne soit pas complètement obérée ne suffit pas à emporter la conviction du tribunal qui, même s’il dispose d’un large pouvoir d’appréciation dans sa prise de décision, doit soigner sa motivation en y intégrant des considérations techniques, de nature fondamentalement économique. Le tribunal est ainsi appelé à vérifier la « crédibilité » des prévisions du plan non seulement au regard des capacités de financement de l’entreprise, c’est-à-dire des actifs qu’elle est susceptible de réaliser, mais encore de ses perspectives de développement (recentrage, adjonction, cession de branche d’activité). Positivement, ce critère suggère ainsi une analyse complexe et détaillée des perspectives de financement du plan afin de juger de « la probabilité que son exécution puisse être menée à bien »8.

Différents paramètres pourront ainsi augurer de la réussite du plan en s’assurant, comme le rappelle fort justement la Cour de cassation, qu’ils soient « compatibles avec le délai de mise en œuvre du plan et suffisant(s) pour en assurer l’exécution sur la durée ». Si, par exemple, des ressources nouvelles, la baisse des charges, des cessions d’actifs ou d’activités, les engagements et garanties de tiers, le maintien et la maîtrise de l’emploi, ou encore les perspectives d’apurement du passif, sont admis au titre des « ingrédients » d’adoption du plan9, il semble en revanche difficile d’échapper à la liquidation judiciaire une fois observée l’absence de « liquidités disponibles significatives » comme « d’un prévisionnel pertinent attestant de rentrées de fonds ». Or, précisément, divers éléments corroborent cette lacune en l’espèce. Aucune des deux sociétés débitrices ne disposait en effet d’entrées d’argent pendant la durée de l’exécution du plan : l’une n’ayant pas d’activité et ayant renoncé à faire remonter les dividendes de sa filiale La Provence, tandis que l’autre, détenant le domicile des époux Tapie, ne générait pas d’entrées d’argent, mais seulement des frais. L’arrêt en déduit que le « projet de plan souffre d’un défaut de financement », concluant au fait que « la probabilité d’exécution du plan n’apparaît pas sérieuse ». À cette défiance s’ajoute en outre l’impropriété des garanties proposées, lesquelles ne rendent « en rien plus certaine sa mise en œuvre dans les délais impartis ». En effet, à bien y regarder, les biens immobiliers présentés comme disponibles et offerts en tant que garantie du plan de sauvegarde faisaient déjà l’objet de saisies pénales, sans avoir l’assurance que ces mesures puissent être levées et que les liquidités détenues puissent être mobilisées dans les délais du plan. Quant aux autres biens, les présenter en tant que garantie de l’exécution dudit plan en proposant de les déclarer inaliénables10 conduisait à méconnaître la finalité de ce dispositif qui repose sur la destination de ces biens, lesquels doivent être indispensables à la poursuite de l’activité de l’entreprise. Pire, le plan présenté était totalement dépourvu de ressources financières faute pour les sociétés débitrices de se prévaloir d’un quelconque « programme de cession de ces actifs » susceptible de fournir des liquidités.

Dans ces conditions, le pourvoi faisant grief à l’arrêt attaqué d’avoir déclaré recevable l’appel du ministère public, rejeté le plan de sauvegarde et infirmé le jugement du tribunal de commerce de Paris en raison de l’impossibilité manifeste de son redressement doit être rejeté. Quant à l’examen de la demande de mise en liquidation du groupe, elle est l’objet d’un nouveau report dont l’issue devrait être tranchée dans les prochains jours. N’ayant plus à cacher les agonisants, le paravent de la sauvegarde doit être levé.

Notes de bas de page

  1 –

Ce qu’une lecture stricte des exigences légales suffit à apaiser : C. com., art. L. 620-1 ; C. com., art. L. 620-2. – Sur la question, déjà évoquée dans l’affaire Cœur Défense (Cass. com., 8 mars 2011, nos 10-13988, 10-13989 et 10-13990, Soc. Hold et Dame Luxembourg), v. not. Monsérié-Bon M.-H., « Le montage à l’épreuve des procédures collectives. La situation de la société holding », Rev. proc. coll. 2013, 
n° 3, dossier 15.

  2 –

Là encore, conformément à une attribution légale nouvelle : C. com., art. L. 621-2, al. 2 (mod. par Ord. n° 2014-326, 12 mars 2014).

  3 –

Champaud C., « L’idée d’une magistrature économique. Bilan de deux décennies », Justices 1995, p. 75 et s., n° 1.

  4 –

C. com., art. L. 626-1.

  5 –

C. com., art. L. 631-15, II ; C. com., art. L. 640-1.

  6 –

C. com., art. L. 631-22, al. 1er.

  7 –

C. com., art. L. 631-22.

  8 –

Sur ce critère, v. Pérochon F., Entreprises en difficulté, 10e éd., 2014, LGDJ., p. 446, spéc. n° 893.

  9 –

Fraimout J.-J., note sous CA Besançon, 2ème ch., 29 avr. 2009 : Rev. proc. coll. 2010, n°2, comm. 69.

  10 –

C. com., art. L. 626-14.

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